L'anthropomorphisme, ce processus par lequel nous attribuons des caractéristiques humaines aux animaux et aux objets, est une tendance fascinante et fondamentale de la psychologie humaine.
Si cette propension à « humaniser » notre environnement peut présenter des points positifs non négligeables, puisqu’elle fait appel à notre capacité d’empathie envers le monde qui nous entoure, nous pousse à nous y intéresser et à y être sensibles, elle présente malheureusement des risques certains. Voir le monde avec des yeux d’humain limite et fausse notre champ de compréhension puisque nous prenons notre nature propre comme référence pour découvrir et appréhender des espèces vivantes complétement différentes de la nôtre.
Un exemple parfait de cette projection humaine, et complétement d’actualité de surcroit, est l'observation, par les humains au retour de leurs vacances estivales, des fameux chats « boudeurs ». Dans cet article, nous allons plonger dans le concept d'anthropomorphisme, explorer la nature féline et élucider pourquoi nos félins domestiques semblent manifester une certaine attitude de « rancune » à l’égard de leurs humains partis en congés sans eux.
L'anthropomorphisme : voir des humains partout
L'anthropomorphisme est une tendance naturelle chez les êtres humains. Nous avons un penchant à projeter nos motivations, nos émotions, nos intentions et notre comportement sur tout ce qui nous entoure, qu'il s'agisse d'animaux, d'objets inanimés ou même de phénomènes naturels.
Si cela peut sembler, de prime abord, un atout considérable pour nos animaux domestiques en général, et nos félins en particulier, puisque nous sommes soucieux d’interpréter leurs émotions, leurs comportements et leurs agissements, attentifs aux êtres sensibles qu’ils sont comme nous le serions envers nos propres congénères, les conséquences de ces projections hasardeuses sont susceptibles d’abimer la relation humain-animal du fait des erreurs d’interprétations à leur égard et des réponses erronées de notre part.
Le chat n’est pas un humain et n’a donc pas les mêmes besoins, les mêmes motivations, ni les mêmes comportements. Analyser les attitudes félines sous le prisme humain, c’est prendre le risque de passer à côté de l’espèce féline en ce qu’elle a d’unique et de différent.
Le monde des chats
Les chats ont toujours fasciné les humains par leurs postures « mystérieuses » et leur nature indépendante. Contrairement aux chiens, mais aussi aux humains que nous sommes, ils ne sont pas des animaux dits sociaux par nature. Cela rend les interactions et leurs comportements moins limpides pour nous.
Leurs expressions faciales subtiles et leur langage corporel complexe sont souvent interprétés à travers le prisme de nos propres émotions et expériences. Ainsi, lorsque nous rentrons de vacances et que notre chat semble distant, nous avons tendance à percevoir cette attitude comme une forme de bouderie. Pour l’humain, le chat serait un être rancunier qui adopterait un comportement de mépris à son égard pour se venger de son absence.
Mais la rancune est une émotion qui engage des processus cognitifs complexes : elle nécessite que le chat soit capable de se représenter son binôme d’attachement comme responsable de son propre mal-être, de voir son absence comme une offense ou un préjudice et d’avoir le désir de se venger de lui.
Le chat a beau avoir des facultés cognitives indiscutables, celles-ci s’organisent différemment de celles de l’humain, nous rappelle Sonia Paeleman dans son livre « Comprendre votre chat : les secrets d’une comportementaliste » aux éditions Opportum et, en l’état actuelle des données scientifiques, il est impossible de prouver que la vengeance fait partie du panel d’émotions éprouvées par notre félin.
Le retour de vacances : l’interprétation humaine
Le "faire la tête" est une réaction que nous attribuons souvent à nos chats lorsqu'ils ne se montrent pas aussi enthousiastes que nous l'aurions souhaité, et comme nous le sommes, à notre retour.
Cependant, il est important de se rappeler que les félins ne ressentent pas les émotions de la même manière que les humains. Leur comportement est influencé par des facteurs qui nous sont parfois inconnus. Par exemple, la gestion de l’environnement spatio-temporel est un élément essentiel au bien-être félin et toutes modifications dans celui-ci provoquera un déséquilibre émotionnel plus ou moins fort et durable. Les odeurs nouvelles et étrangères rapportées de nos voyages, pour notre félin qui gère et appréhende son espace vital en grande partie par le biais de son odorat, peuvent perturber leur environnement familier et le laisser perplexe.
Comprendre le comportement félin
Plutôt que d'interpréter le comportement de votre chat comme une manifestation de bouderie, il est plus précis de le considérer comme une réponse à un changement dans son environnement.
Les chats sont des créatures de routine qui s'épanouissent dans un environnement stable et prévisible. Lorsque vous êtes parti en vacances, votre chat a pu ressentir une perturbation de ses habitudes quotidiennes, ce qui a pu causer du stress. Il s’y est adapté, avec un peu de temps et maintenant vous êtes de retour ! et sa confusion aussi.
Une autre différence clé entre les humains et les chats réside dans leurs modes de communication. Les humains sont des êtres sociaux pour qui le toucher a une signification profonde. Les étreintes, les poignées de main, les caresses sont autant de moyens par lesquels nous établissons des liens, exprimons nos émotions et créons une connexion avec les autres, notamment lorsque cet autre n’a pas été approché depuis un certain temps. Cependant, chez les chats, ce mode de communication ne revêt pas la même importance.
Les caresses peuvent être agréables, mais cela dépend de la personnalité individuelle de chaque chat. Certains adorent être caressés, tandis que d'autres peuvent se sentir mal à l'aise ou même agacés par un contact constant. Il est crucial de respecter les signaux que votre chat vous envoie. S’il semble éviter le contact après votre retour de vacances, cela peut être dû à un sentiment de vulnérabilité causé par le changement de routine et l'introduction d'odeurs nouvelles. Votre chat, avant de vous solliciter à nouveau pour des échanges physiques, aura besoin de vous observer et de vous retrouver visuellement et olfactivement.
Mais alors : comment réagir ?
Au lieu de sauter à des conclusions anthropomorphiques, il est plus bénéfique d'aider votre chat à retrouver son équilibre. Donnez-lui du temps pour s'habituer à votre retour, d’intégrer cette nouvelle information et la faire sienne et ainsi de retrouver sa stabilité émotionnelle. Créez plutôt un espace calme et familier pour lui, et respectez son besoin de temps seul si c'est ce qu'il recherche. Évitez de forcer des interactions excessives tant qu'il ne s'est pas réajusté.
Comprendre cette disparité de communication et de besoins entre humains et chats peut nous aider à ajuster nos attentes et à respecter les préférences individuelles de nos compagnons félins. Plutôt que de projeter notre besoin de toucher sur nos chats, il est préférable de leur offrir des formes de communication qui correspondent à leur nature. Cela peut inclure la création d'un environnement sûr et prévisible, la fourniture d'espaces tranquilles où ils peuvent se retirer et la lecture attentive de leurs signaux corporels pour savoir quand ils sont ouverts à des interactions physiques. En reconnaissant et en respectant leurs préférences, nous renforçons le lien spécial que nous partageons de manière respectueuse et adaptée à leur monde unique.
Ce temps de réadaptation sera plus ou moins important selon le caractère et l’histoire du chat, selon ses expériences propres mais aussi votre comportement à son égard : nous sommes dans le vivant où tout est subtil.
Conclusion
L'anthropomorphisme est une manière naturelle dont l’humain use pour comprendre le monde qui l’entoure. Cependant, il est important de se rappeler que les animaux ont leurs propres façons de ressentir et de réagir aux choses, ils possèdent leur propre Umwelt*. Lorsque votre chat semble bouder après votre retour de vacances, il est plus probable qu'il réagisse aux changements dans son environnement plutôt qu'il n'exprime une émotion humaine complexe comme la rancune.
Comprendre la nature féline nous permet d'établir des liens plus forts avec nos amis chats et de répondre à leurs besoins de manière plus respectueuse, juste et adéquate.
*Umwelt :
Concept éthologique fondamental élaboré et défini par Jakob von Uexküll représentant l’environnement sensoriel propre à une espèce ou à un individu, mieux rendu en français par l'expression de « monde propre ».